vendredi 15 janvier 2010

Hannah Arendt, lectrice de Simenon

Hannah Arendt : For Love of the World par Elisabeth Young-Bruehl publié par Yale University Press en 1982 - 616 pages.

Cette biographie associe la présentation des grandes étapes de la pensée et de l’œuvre de la philosophe théoricienne du totalitarisme aux événements historiques qui la sollicitent et au tableau des amitiés et des cercles successifs. Si la liaison qu’elle eut brièvement au début des années 30 avec Heidegger est désormais bien connue, d’autres aspects de son existence, pourtant du plus haut intérêt, le sont moins : son rapprochement avec le sionisme sous l’égide de Kurt Blumenfeld avant et pendant la guerre, son mariage avec Günther Stern, puis avec Heinrich Blücher, sa longue amitié aux États-Unis avec la romancière Mary McCarthy ou avec le poète W.H. Auden.

Polémiste redoutable et critique cinglante, constante dans ses fidélités, et en premier lieu dans sa relation avec cette grande conscience allemande que fut Karl Jaspers, Arendt a traversé tous les débats du siècle, sans jamais céder ni sur son indépendance d’esprit ni sur sa lucidité : face au totalitarisme, dont elle forge le concept, mais aussi face au racisme et aux mouvements pour les droits civils aux États-Unis, face à la création de l’État d’Israël et au devenir du sionisme, face à l’engagement américain dans la guerre du Vietnam, face à la révolte de la jeunesse des années 60. Ne s’abandonnant jamais à la tentation aristocratique du retrait, elle accomplit une œuvre de pensée sans avoir besoin de décrier le monde, mais en prônant l’amour de la réalité, donnant ainsi l’image rare d’une vie de penseur à la hauteur de ses accomplissements spéculatifs.

« [...] Hannah Arendt lisait une combinaison d’auteurs assez disparates comme notamment Proust, Clausewitz et Simenon. Aussi curieux que ce trio puisse sembler, ils ont chacun contribué aux projets et aux centres d’intérêt qu’elle a emportées en Amérique.

[...] Vers la fin de l’été 1940, “aux heures les plus sombres de la guerre” – la chute de la France, la menace qui pesait sur l’Angleterre, le pacte Hitler-Staline encore intact, et comme conséquence redoutée la coopération étroite des deux polices secrètes les plus effectives – la lecture des romans policiers de Simenon était plus qu’un divertissement pour Hannah Arendt.

La connaissance ainsi apprise de la structure et des méthodes de la police française lui a été hautement utile. Certains amis de Hannah Arendt trouvaient qu’elle inclinait trop à embrasser des théories de conspiration, et qu’elle avait de plus tendance à suspecter un complot derrière chaque incompétence bureau­cratique.

Quand en 1940 elle a prévenu ses amis juifs de ne pas donner suite à l’ordre de la police française de se présenter à la préfecture la plus proche, ceux qui l’ont écoutés étaient plus que reconnaissants envers Simenon de l’avoir stimulée à se méfier de la police. Ceux qui ont refusés de se faire enregistrer devenaient non seulement apatrides et aussi illégaux, mais n’étaient pas arrêtés comme beaucoup de réfugiés qui avaient remplis bien sagement leur adresse sur les formulaires de d’enregistrement. »

Nous remercions Johnny Bekaert qui nous a signalé ce texte dans son édition néerlandaise et en a assuré la traduction. Depuis, nous avons retrouvé l’édition française chez Calmann-Lévy.

Hannah Arendt, biographie de Elisabeth Young-Bruehl

Broché: 717 pages.

Éditeur : Calmann-Lévy.

Réédition : 20 octobre 1999.

Collection : « Les vies des philosophes ».

Prix : 32 €.

ISBN-10: 2702130372

ISBN-13: 978-2702130377

Le premier roman de Pierre Simenon


Au nom du sang versé


Argumentaire des éditions Flammarion :Se déroulant dans les années 1990, Au nom du sang versé relate l’histoire d’Antoine Demarsauds, un avocat de Los Angeles aussi brillant que débauché qui, alors qu’il est abruptement rappelé en Suisse pour les funérailles de sa mère, avec laquelle il n’a pas communiqué depuis des années, se retrouve confronté à des allégations selon lesquelles son défunt père avait collaboré avec les Nazis durant la Seconde Guerre mondiale. Farouchement déterminé à établir la vérité et venger la mémoire de son père, Antoine s’embarque dans une quête qui va le mener des coffres-forts secrets des banques privées de Genève aux ruelles de Cracovie et des pluvieuses banlieues parisiennes aux plaines limites du Texas. Et alors que son enquête progresse dans l’ombre menaçante d’un passé qui ne se dit pas, il déclenche accidentellement une série d’événements qui vont non seulement le forcer à remettre en cause ses sentiments, loyautés et convictions les plus intimes, mais aussi à mettre sa vie en péril.
Un premier roman à l’américaine, efficace, haletant, dynamique, très enlevé. Une histoire poignante et prenante.



Fils de Georges Simenon, Pierre Simenon, né en 1959 à Lausanne, a travaillé comme analyste financier et gérant de portefeuilles dans une banque privée genevoise avant de partir pour les États-Unis en 1987, où il est devenu avocat de cinéma à Los Angeles. Instructeur de plongée, passionné de requins et d’Histoire, Pierre Simenon vit à Malibu, en Californie, avec sa femme et son fils. Au nom du sang versé est son premier roman.
Éditions Flammarion, 464 p., 21 €. (Parution le 20 janvier 2010.)

mercredi 13 janvier 2010

Assemblé générale 2010

La prochaine assemblée générale des « Amis de Georges Simenon » se tiendra le dimanche 9 mai au

Théâtre-Poème

30, rue d’Écosse

1060 Bruxelles

Le programme détaillé de la journée sera publié sur ce blog et nos membres seront également informés par courrier au début du mois d’avril.

Nous espérons que vous assisterez nombreux à cette journée très conviviale..

mardi 5 janvier 2010

Les "Lettres" de Céline chez Gallimard

Simenon, « Rastignac belge »

Dans l’imposante édition des Lettres de Céline que publie la Bibliothèque de la Pléiade (Gallimard, 2009), Simenon est cité deux fois – deux fois seulement, serait-on tenté de dire –, au détour d’une lettre adressée à Albert Paraz, à propos de la mort inexpliquée de l’éditeur Robert Denoël (assassiné le 2 décembre 1945 à Paris, près de la place des Invalides).

« Je vois qu’on ramone beaucoup l’affaire du mystère Denoël, écrit Céline le 6 février 1950. C’est pas fini. Ah les Lenôtre 2000 ils auront du pain ! C’est drôle il me racontait souvent ses débuts à Paris. Il venait de Belgique, belge comme Simenon, et tous les deux au même cancan Paris-Midi. Ils rédigeaient leurs échos sur la même table de bois blanc face à face. Ils venaient à la conquête de la Capitale… Rastignacs belges ! tous les deux ! C’est comme des coureurs les Rastignacs belges ils font souvent équipe, ainsi Waleffe-Croisset… etc. Simenon est sorti du “journal” pour le roman mystérieux policier… avec le succès que tu sais, et c’est Denoël qui est parti crever précisément (pas au pour, au vrai) dans l’assassinat mystère. » (On sait, bien sûr, que le journaliste mondain Maurice de Waleffe et le romancier Francis de Croisset, l’auteur de La Féerie cinghalaise (1926), étaient d’origine belge.)

Le Testament de Céline

Atmosphère et crise
On doit à Paul Yonnet un des essais littéraires les plus remarquables publiés en France en 2009 : Le Testament de Céline (Éditions de Fallois). Bien entendu, conformément au titre, il y est surtout question de l’auteur du Voyage au bout de la nuit, mais de nombreux autres écrivains y sont évoqués, en particulier Rabelais, Chateaubriand, Vigny, Nerval, Zola, Mauriac, Malraux, Bernanos ou Camus. Sans oublier Simenon. Qui a droit à deux apparitions élogieuses. Page 23 d’abord : « Mais un Maigret raté vaut dix suspenses américains réussis, ficelés qu’ils sont dans leurs paquets standardisés, que l’on dévide comme des rouleaux de papier-toilette, impeccablement, jusqu’à la dernière feuille, sans risquer de se tacher les doigts. Je n’ouvre plus Simenon que pour cet instant d’atmosphère, toujours le même : tout s’arrête ; tout est oublié ; il pleut et on se fiche du reste. »
Puis à la page 198 : « Naturaliste, puisant le principe de sa contre-rhétorique dans le principe même de la rhétorique, l’amplification, d’un lyrisme oratoire, classique donc, Céline est aussi, tout comme Zola, un écrivain de la crise. En cela, Céline, comme Zola et aussi Georges Simenon, manifeste et incarne jusqu’au paroxysme le trait le plus remarquable du roman français, si on le compare au roman anglais […] »