samedi 28 février 2009
Étude graphologique
L’Almanach des Lettres 1947 consacre un chapitre à la graphologie sous le titre « Graphologie et Critique ». Ces études dues à Maurice Delamain décryptent les écritures de Jean Paulhan, André Malraux, François Mauriac, André Gide, Georges Bernanos, Jean-Paul Sartre et celle de Georges Simenon que nous reprenons ci-dessous :
Georges Simenon
[L’] écriture de Simenon, [...] sera pour nous un délice après la plupart de ces graphismes que nous venons de voir et qui sont pleins de « secondarités », c’est-à-dire dans lesquels il apparaît que les plénitudes ne sont pas de vrais pleins, mais des « vides remplis ». Ici c’est tout simple, vrai et sans façon, c’est
« primaire » dans le bon sens, c’est-à-dire direct et spontané.
Dans une écriture, il y a le trait d’encre en lui-même, et le tracé, le chemin que suit la plume créant les formes. Or le trait est pâteux, flou, un peu engorgé d’encre sans être boueux, il est appuyé, tous signes de sensorialité, de vitalité, de libido. Mais ce n’est certes pas une libido stagnante, car le tracé est fortement incliné – c’est un signe de passion – et extrêmement rapide dans son rythme et sa progression. Elle va vers le dehors, elle s’extériorise, elle est centrifuge. Et cela d’un pas accéléré, endiablé même, mais pourtant aisé, souple et régulier, et qui évite tous mouvements inutiles. La rapidité d’une écriture signifie toujours aussi intelligence et dans celle-ci elle exprime tout ensemble la célérité de conception, de combinaison et d’exécution, car tout va d’un seul train, point d’hésitation ni guère de réflexion, ni de ratures, ni de remords. Avec ce contenu vital, une intelligence même brillante ne fait pas un « intellectuel », elle se met au service de la vie. Aussi ne remarque-t-on pas ici cet amaigrissement ascétique des tracés purement intellectuels. Il est fort normal, sans recherche et même de forme très courante. Mais voici un trait capital : la guirlande (les m et les n écrits comme des u), c’est le signe par excellence du sentiment ; mais elle n’est pas profonde et, comme elle, le sentiment, signifié n’est pas profond et dramatique, il est gracieux et léger mais, extrêmement vif. Il n’aime pas les anicroches, les frictions et va de l’avant. Ajouter à cela que les a, les o sont souvent ouverts (signe très marqué dans les documents mais peu visibles dans notre trop court cliché ; voir cependant l’a de ramenées), qui témoignent de franchise, d’épanchement sans secret – et nous aurons un ensemble très sympathique que tout compte fait nous appellerons sensation-sentiment extraverti, – type français par excellence, bien que le scripteur soit Belge.
Que voilà chose devenue rare parmi les écrivains, un homme qui écrit comme on agit, qui fait des romans comme on fait du sport, pour le plaisir, pour l’action, pour le bénéfice moral ou matériel à en retirer. La rapidité fabuleuse de sa production littéraire est rendue possible par le don de vitesse que nous avons déjà signalé – et ses romans seront non faits avec de la pensée ni avec du subjectif, mais avec de l’action et de la sensation objectivée (qu’on songe à ses célèbres « atmosphères ») et du dramatique (forme naturelle de la création extravertie, qui tend à émouvoir les autres, son public; d’où cette prédilection pour le roman à police et à crimes).
Ce n’est pas la pensée qui est le personnage principal de Simenon, mais elle ne l’en tourmente pas moins. Nous lisons dans notre exemple même que Simenon se reconnaît comme un homme de sensation, et il se plaint des « brouillards » dans lesquels il est obligé d’errer dès qu’il veut « concrétiser une toute petite vérité ». Le cas est typique, la fonction négligée se venge comme elle peut, et tous les grands sensoriels ont eu la manie de penser. Le domaine de la pensée, ce domaine interdit, ou bien ils s’arrêtent devant, nostalgiques, et ce semble être le cas de Simenon – ou bien ils s’y élancent sans système, en pillards ou en tyrans, plus hardis que compétents mais combien riches de secrets de la vie ! C’est le cas des sensoriels extravertis de génie, auteurs intarissables et rapides, que leurs écritures nous font connaître. Nous n’avons malheureusement pas l’écriture de Shakespeare qui en était sûrement, mais plus près de nous c’est Chateaubriand, Balzac, Sand et cet Hugo dont le véritable tourment, estime Thibaudet, était la pensée et chez qui le mot ombre occupe une place significative.
Almanach des Lettres 1947, " Graphologie et Critique" par Maurice Delamain, Paris, Éditions de Flore et La Gazette des Lettres, 1946, pp. 151-152.
Week-end Simenon
20e anniversaire de la mort de Georges Simenon
Michel Carly, spécialiste de Simenon, consultant Simenon aux Presses de la Cité à Paris, auteur d’une vingtaine d’ouvrages consacrés au créateur de Maigret, vous emmène à la découverte des…
Intimités belges de Simenon
Les 18-19-20 septembre 2009 à Liège, Charleroi, Thuin et Givet dans l’atmosphère de Pedigree, Le Pendu de Saint-Pholien, Le Témoignage de l’enfant de chœur, Le Locataire, Le Charretier de « La Providence », Chez les Flamands.
« Ne vous y trompez pas, ouvrir un Simenon, c’est aborder des lieux et s’immerger tout de suite. Un mot, une ligne, une phrase et vous pénétrez dans cette gare, grimpez dans ce tramway, retrouvez la maison de l’enfance. Tournez la page : vous marchez dans un coron, vos pieds prennent l’eau dans le brouillard d’une écluse. Ces lieux, Simenon les connaît. Il les a vus. En a gardé les odeurs, les lumières, la magie. Je vous emmène dans le Liège de ses premières sensations, ensuite dans ce Pays qu’on disait Noir, enfin à la frontière avec sa France. Nous allons suivre ses personnages dans le dédale de ses curiosités. Filatures… Au bout de la ligne, une rue, un canal, un assassin, un enfant. C’est toujours Simenon, celui que vous croyez connaître et que j’aimerais vous révéler dans l’espace nord où il a puisé ses inspirations belges. »
Michel Carly
Vendredi 18 septembre
Bruxelles-Liège
10 h 30 : visite privée du Fonds Simenon de l’Université de Liège : livres, manuscrits, éditions du monde entier, interviews, photos et le bureau complet de l’écrivain.
Repas libre en ville.
14-17 h 00 : en Outremeuse, découverte pédestre du quartier de l’enfance : souvenirs de famille, premiers émois religieux et sensuels, assimilation de décors qui préparent de nombreux romans… et qui évoquent aussi le passage du commissaire Maigret.
Visite à la librairie d’occasion « À l’enseigne du commissaire Maigret » où vous pourrez satisfaire à bas prix votre soif de lecture.
Installation à l’hôtel Ibis Centre Liège ou Holiday Inn.
19 h 00 : Apéritif pèkèt en face de la statue et de la maison natale de l’écrivain. L’apéritif wallon par excellence est le pèkèt, l’alcool blanc que ne dédaignaient pas les mariniers mis en roman par Simenon.
20 h 00 : Souper chez As’Ouès, place du Perron.
22-22 h 30 : un Liège secret et magnifique, balade nocturne dans le quartier Hors-Château, décor (illuminé) que l’on retrouve dans Lettre à mon juge et Le Pendu de Saint-Pholien avec Maigret.
Samedi 19.
9 h 00 : Liège-Charleroi.
Simenon, reporter-photographe, journaliste, découvre Charleroi en 1933. La ville devient sur le champ le décor du Locataire, le premier roman qu’il publie chez Gallimard, devenu à l’écran L’Étoile du Nord avec Simone Signoret et Philippe Noiret, film que nous regarderons en cours de route.
Notre visite de Charleroi sur les traces de Simenon inversera aussi l’image négative qu’on a trop tendance à imposer à une ville riche en patrimoine et culturellement très dynamique.
10 h 30 : visite du splendide hôtel de ville, témoin de l’art des années 1930 et de la puissance industrielle de Charleroi. Simenon l’a vue en construction. Montée au sommet du beffroi et vue panoramique sur la région : comment Simenon a-t-il regardé la ville ?
12 h 00 : repas libre (Eden-Théâtre ?)
13 h 30 : Au Musée des Beaux-Arts de la Ville, du Charleroi des peintres aux extraits du roman Le Locataire. Peintures de nombreux artistes dont un certain René Magritte qui a vécu son enfance et sa jeunesse au pays de Charleroi…
16 h 00 : nous arrivons sur les bords pleins de charme de la Sambre, à Thuin, splendide ville qui était la deuxième cité batelière de Belgique après Anvers dans les années 1930, lieu de tournage de l’adaptation du Charretier de La Providence avec Bruno Cremer.
Une obsession de l’enfance liégeoise et de son passage à Charleroi : les tramways de Simenon : balade en ancien tramway au bord de la Sambre, puis de Thuin à Lobbes et retour. Visite du tout nouveau Centre de découverte du chemin de fer vicinal. Lectures de textes de Simenon en accompagnement.
Avant le souper, découverte du pittoresque Quartier des mariniers de Thuin au bord de la Sambre ; évocation de la vie des gens de l’eau.
19 h 00 : Souper au restaurant L’eau à la bouche à Thuin
22 h 00 : arrivée à l’hôtel Best Western Leonardo, bd Mayence à Charleroi.
Dimanche 20
10 h 00 : Dans la périphérie de Charleroi : découverte d’un paysage minier et d’un coron, décor du roman Le Locataire : la vie des ouvriers, la perception par Simenon d’un décor qui le fascine depuis son enfance, sa retranscription dans l’écriture.
Dîner à l’Auberge de la Tour à Givet.
Après-midi : à la frontière belgo-française, dans un lieu qu’il connaît bien, Simenon a entièrement localisé un de ses premiers Maigret : Chez les Flamands. En parcourant tous les lieux du roman en ville et sur les bords de la Meuse, votre guide vous expliquera comment naît un roman chez Simenon, les secrets intimes et familiaux qu’il y mêle, sa façon de s’imbiber dans un lieu marinier comme Givet.
Renseignements : ILFAC, avenue de la Toison d'Or, 84-86, Bruxelles. Tel. : +32 2 500 50 95
vendredi 27 février 2009
Dominique Fernandez : Ramon
C’est l’histoire politique en France et en Europe – le 6 février 1934, le Front populaire, la guerre d’Espagne, celle de 1940, l’Occupation... C’est l’histoire littéraire avec Proust, Gide, Mauriac, Paulhan, Céline, Bernanos, Saint-Exupéry, Malraux, Duras et tant d’autres.
Dominique Fernandez, Ramon, Grasset, 2009,
24,90 €
Dans le bimensuel Vrai, une publication qui date du 1er décembre 1941 on trouve sous le titre Mon fils et moi, quelques pages de Georges Simenon extraites de Je me souviens... et datées respectivement des 12 décembre 1940, 28 avril et 2 mai 1941.
Le texte est présenté par Ramon Fernandez :
« L’originalité de M. Simenon, dans nos Lettres contemporaines, n’a pas fini de nous étonner. À peine avions-nous salué en lui un maître du roman criminel que nous devions admirer son sens des atmosphères, des climats, des heures et des foules.
Vrai se devait de publier une histoire vraie de ce grand imaginatif. Et voici que, dans ces pages, vous verrez la plume criminaliste de M. Simenon se dévouer à la célébration de l’innocence ; vous verrez ce peintre dessiner les gestes, ce musicien transcrire la voix d’un être tout jeune qui devient le centre d’un monde. L’amour, qui a inspiré ces pages, a fait vivre tout un univers dans le petit royaume d’un petit enfant. Le petit Marc ne connaît rien des noirceurs de la vie, et son auteur, qui les connaît bien, l’entoure de ce livre comme d’une coquille chaude et transparente qui le protège contre le mal du monde sans l’empêcher d’y épeler doucement sa destinée. »
jeudi 19 février 2009
Christain Libens : "Amours crues"
Son dernier ouvrage, Amours crues, est un roman d’amour en sept récits où les corps se prennent et se déprennent. Les sexes ne disent-ils pas mieux que les âmes les sortilèges de notre humaine condition ?
C’était l’avis de Simenon dont il est aussi question dans ce livre. C’est aussi l’avis de l’auteur qui met en scène, sans tabous ni préjugés, des amours où se confondent le laid et le beau, dans la célébration du corps féminin.
Amours crues, Bruxelles, Éditions Luc Pire « Grand Miroir », 2008, 144 p., 15 €.
jeudi 12 février 2009
Bibliothèque de la Pléiade, tome 3
Édition établie par Jacques Dubois et Benoît Denis
Préface par Jacques Dubois
Chronologie par Benoît Denis
Note sur la présente édition
par Jacques Dubois et Benoît Denis
Les Gens d'en face
Les Trois Crimes de mes amis
Textes établis, présentés et annotés
par Benoît Denis
Malempin
La Vérité sur Bébé Donge
Textes établis, présentés en annotés
par Jacques Dubois
Pedigree
En marge de Pedigree
Je me souviens... (édition de 1945)
Textes établis, présentés et annotés
par Jacques Dubois et Benoît Denis
Les Complices
Texte établi, présenté et annoté
par Jacques Dubois
Les Autres
Texte établi, présenté et annoté
par Benoît Denis
La Chambre bleue
Texte établi, présenté et annoté
par Jacques Dubois
Appendice
Lettre à ma mère
Texte établi, présenté et annoté
par Benoît Denis
Notices, notes et variantes
Plans de Liège
Complément bibliographique
mercredi 11 février 2009
Simenon collectionneur de la Pléiade
« Quels sont les cent ouvrages que tout honnête homme se devrait d’avoir lus ? » À cette question posée dans les années cinquante par Raymond Queneau – qui conservait de ses années surréalistes un attachement amusé pour les bilans et classifications de toutes sortes et pensait que le livre vivait ses dernières heures à l’heure de la bande magnétique – à quelques-uns de ses contemporains, Simenon fit une bien curieuse réponse. De titres, il n’y avait guère dans la liste qu’il fournit, à l’exception des Oraisons funèbres de Bossuet et des Journaux des frères Goncourt, de Jules Renard et d’André Gide. En lieu et place, une liste sans surprise d’une cinquantaine d’auteurs universellement reconnus ; seule concession au pittoresque simenonien les codes pénal et civil, la Nouvelle géographie et l’Atlas de Vidal de la Blache, le Littré, un plan de Paris et un annuaire téléphonique. Plus insolite, la liste s’ouvrait sur les séries romaine et grecque en « Budé », retenait la collection du « Cabinet cosmopolite »de Stock et, the last but not the least, s’achevait sur la « Bibliothèque de la Pléiade ». De sorte que si, comme le veut la traditionnelle hypothèse, le romancier avait dû un jour se retirer sur une île déserte (un déménagement de plus dans une existence un peu nomade), il lui aurait fallu affréter un volumineux convoi pour faire suivre sa bibliothèque et envisager un approvisionnement régulier pour compléter ses rayonnages. De fait, comme d’autres,
Simenon ne prit pas très au sérieux la petite enquête de Queneau et éluda quelque peu la question. Rien d’étonnant de la part d’un auteur qui, d’une part, avait pris ses distances à l’égard de son deuxième éditeur français (après Fayard, avant les Presses de la Cité) et qui, d’autre part, ne s’était jamais senti vraiment à son aise dans l’atmosphère lettrée de la rue Sébastien-Bottin – malgré des liens d’affection réels avec la famille Gallimard et quelques écrivains du sérail, au premier rang desquels André Gide. Simenon avait donc des raisons de se désintéresser, voire de se défier, de ce petit divertissement littéraire.
Pierre Assouline, dans la biographie qu’il consacre au père de Maigret, conseille lui aussi de prêter peu d’importance à la réponse formulée par Simenon. « Simenon, grand lecteur ? » : le biographe émet de sérieux doutes. Mais on ne peut ignorer ces lettres des années 1940-1950 adressées par Simenon à Gaston et Claude Gallimard, où le romancier, isolé en province puis retiré outre-Atlantique, se montre particulièrement avide de lectures et très au fait des dernières publications : « N’oubliez pas de m’envoyer d’office, à mon compte, bien entendu, tout ce que vous publiez ou avez publié récemment en matière d’histoire, mémoires, sciences, économie politique, etc » (20 janvier 1944) ; « Je vais encore vous demander des bouquins [...] J’ai vu entre autres une nouvelle collection scientifique dont un numéro au moins est sorti. Voulez-vous me le faire envoyer ainsi que tous les Malraux que vous auriez encore ainsi que les Hemingway. Idem pour Saint-Exupéry qui était un excellent ami dont la mort m’a vivement affecté » (28 février 1945) ; « Envoyez-moi de même sur mon compte les ouvrages qui sortent de chez vous et qui sont susceptibles de m’intéresser. Vous savez lesquels » (5 janvier 1948). Pour une bibliothèque de montre ? Il est permis d’en douter.
Ce qui est assuré, c’est que Simenon était un collectionneur de livres. On le sent très concerné par la composition de sa bibliothèque personnelle, au-delà des seuls rayonnages dévolus à son œuvre aux babyloniennes mensurations. La « Pléiade » y tenait en effet une part privilégiée, étant entendu que Simenon avait aussi une tendresse particulière pour les « Mémoires du Passé pour servir au Temps présent », collection que dirigeait depuis 1942 Louis-Raymond Lefevre. Les marques de cet attachement pour la « Pléïade » (sic pour le tréma) abondent. C’est le 9 avril 1943 qu’il s’en ouvre à son éditeur, après une visite de Claude Gallimard à son domicile vendéen de Saint-Mesmin-Ie-Vieux et l’envoi des œuvres de Molière et de Goethe qui s’ensuivit. Simenon profite de l’occasion pour indiquer sept autres titres qu’il souhaiterait recevoir, avant de conclure : « Mais évidemment la collection toute entière m’intéresse et quand ce sera possible je vous serais reconnaissant de me la fournir. Merci d’avance. » Il ne possède alors que douze volumes sur plus de soixante.
Le travail patient du collectionneur se poursuit bien après la guerre. Attentif aux nouvelles parutions, il rappelle à l’ordre les services d’expédition de la NRF en cas d’oubli. Sans avoir le souci de l’originale à la manière d’un bibliophile, il cherche patiemment à reconstituer une collection « complète » : « Je ne désespère pas d’arriver, petit à petit, à mesure des re-tirages, à la collection complète de La Pléïade. Ne m’oubliez surtout pas quand il y aura un Mémorial de Sainte-Hélène disponible » Son intérêt est tel que, depuis sa villa de Bradenton Beach, il insiste pour que lui soient adressés régulièrement outre-Atlantique les nouveaux titres : « Je vois par les journaux que vous continuez la collection de la Pléiade et que vous avez publié entre autres un Rimbaud [avril 1946]. N’oubliez pas que je tiens à recevoir tous les volumes de la Pléiade. Je vous demande de bien vouloir me les faire envoyer ici et de les porter à mon compte. J’ai toujours peur d’arriver trop tard. Il m’en manque déjà un certain nombre que je ne retrouverai peut-être jamais et je tiens beaucoup à cette collection. Si vous faites des réimpressions, signalez-les moi, que j’en profite pour combler le vide. » Le romancier demande en outre que ne lui soient adressés que « les livres à couverture de chagrin véritable » ou « en peau naturelle » - allusion au simili cuir dont furent recouverts dans les années quarante certains volumes de la collection (Saint-Simon, Rimbaud, Chateaubriand, Laclos, Tolstoï, Descartes, Platon, Mérimée... ) et pour lesquels la NRF lança dans les années 1950 plusieurs campagnes de recouvrure en pleine peau pour quelques scrupuleux amateurs. Il ne s’agissait pas d’une lubie éphémère : en 1958, Simenon sollicite à nouveau Claude Gallimard, craignant de ne pas avoir toute la collection malgré le service qui lui est fait de toutes les nouvelles parutions. Attentif, il le demeure plus que jamais : il demande à ce que les volumes de 1’« Encyclopédie » soient ajoutés à sa liste d’envoi en 1959 et interroge en juin 1962 : « Comment faire, quand on achète la Pléïade directement chez vous pour se procurer le Balzac qui n’est pas dans le commerce. Je n’aimerais pas le manquer. » Il s’agit, on l’aura compris, de l’« Album Pléiade » – aujourd’hui une pièce très recherchée.
Simenon avait une prédilection pour les séries monumentales d’œuvres complètes ; celles de Gide et de Proust publiées par la NRF – une « édition de bibliothèques » d’après Gaston Gallimard ; une « édition pour bibliophiles » selon Simenon – lui étaient particulièrement chères. On ne s’étonnera pas dès lors que Simenon s’émeuve lorsqu’en 1946, Gaston Gallimard sentant à juste titre que le romancier lui échappe à l’issue d’une série de malentendus, de retournements et de différends contractuels, envisage de reprendre l’ensemble de son œuvre littéraire dans la collection « In-octavo – À la gerbe », au même titre que celles de Proust, Valéry, Claudel ou Péguy. On le sait, ces efforts ne suffiront pas pour retenir l’écrivain; mais à plusieurs reprises, Simenon rappelle aux Gallimard qu’il s’est réservé contractuellement le droit de disposer, à son seul gré, des ouvrages confiés après-guerre aux Presses de la Cité, afin de pouvoir les réunir plus tard en un seul ensemble – si possible présenté par André Gide, « l’homme qui connaît le mieux mon œuvre ». On ne reviendra pas ici sur la complexe – et internationale – histoire de la publication des œuvres complètes ou partielles de Simenon, dont la parution des deux volumes de la Pléiade constitue une date importante. Notons seulement que Simenon repoussa finalement l’hypothèse « À la gerbe », bien qu’elle lui parût « une consécration flatteuse ». Pragmatique, conscient des attentes de ses lecteurs et confiant dans les modèles éditoriaux étrangers, il préférait un ensemble d’« ouvrages massifs (presque des dictionnaires), qui aient une certaine tenue et qui soient en même temps accessibles à la plupart des bourses ». Mais il confiait encore à Claude Gallimard le 12 mars 1949 : « Cela n’empêcherait nullement, plus tard, beaucoup plus tard sans doute, d’envisager une édition s’adressant davantage aux bibliophiles. »
Simenon songeait-il alors à la « Pléiade » ? Il est permis de le croire.
Alban Cerisier
Directeur des archives de Gallimard
Le lien ci-dessous vous donnera accès à l'intéressant article publié dans le n° 15 de la "Lettre de la Pléiade" d'avril-mai 2004.
http://www.cercle-pleiade.com/pdf/lettre_pleiade15_hist.pdf
Après Simenon, Sacha Guitry dans la Pléiade ?
La première expérience réalisée en 2003 pour le centenaire de la naissance de l'écrivain fut tellement concluante (60 000 exemplaires vendus pour les deux volumes, l'une des plus belles réussites de la collection) qu'un troisième volume sera lancé au mois de mai. Parmi la sélection, un texte plus autobiographique, Pedigree. Ce succès crée un précédent. Au point que les responsables de la collection s'interrogent : pourquoi ne pas ouvrir la porte à un autre auteur populaire. On murmure même le nom de Sacha Guitry, dont le succès à l'affiche ne se dément pas depuis un demi-siècle.
Le Figaro.fr du 9 février 2008
jeudi 5 février 2009
Les romans américains chez Omnibus
Entre 1945-1955, Simenon parcourt le continent nord-américain
Dix années essentielles dans sa vie et son œuvre
C’est la société américaine de cette époque que Simenon décrit : celle d’une jeunesse en rupture avec le monde des adultes, celle gangrenée par la Mafia, celle qui subit la loi des gangs, celle régie par le puritanisme, celle où l'espace remplace le temps – Steinbeck contre Proust –, celle qui souffre d'alcoolisme, celle où la morale sexuelle s'effrite...
Volume 1
Destinées, Trois chambres à Manhattan, Maigret à New York, La Jument perdue, Le Fond de la bouteille, Maigret chez le coroner, Un nouveau dans la ville, Maigret, Lognon et les gangsters.
Le premier de ces Romans américains est inattendu. Publié sous le pseudonyme de Georges Sim en 1929, il dévoile l'Amérique rêvée par un Simenon qui croise dans les nuits parisiennes des artistes nord-américains, qui s'est ému en visionnant The Kid de Chaplin. Les sept autres titres sont, eux, révélateurs de la compréhension profonde que Simenon avait de l'Amérique.
Volume 2
La Mort de Belle, Les Frères Rico, Feux rouges, Crime impuni, L'Horloger d'Everton, La Boule noire, La Main.
Dans ce second volume des Romans américains, seul La Main sera publié plus de dix ans après son retour en Europe.
« Simenon connaissait bien la littérature américaine. Il l’admirait même tellement qu’il s’était fait envoyer, avant de partir pour New York, une pleine malle d’un florilège de ses auteurs favoris. »
« A vrai dire, le côté américain de l’écriture de Simenon m’était très vite apparu. Cette façon de rentrer brutalement dans le récit, de préférer le dialogue au style indirect, de manier l’ellipse sans se soucier d’explications oiseuses et de préférer le behaviorisme à la psychologie le rapprochait des auteurs américains. Comme Chandler, Hammett, Mc Coy et d’autres écrivains sortis du moule de la revue Black Mask, il construit ses personnages sans commentaires ni analyse. »
Patrick RAYNAL
Préface Patrick Raynal
Introductions de Michel Carly
26 € /volume www.omnibus.tm.fr
mercredi 4 février 2009
Épalinges : l'ancienne maison de Simenon est squattée
L’ancienne habitation de Georges Simenon à Epalinges (VD) est squattée depuis le début de l’année. Les occupants veulent « créer une alternative au monde capitaliste ». Les propriétaires ont déposé plainte.
Les squatters, une dizaine environ, sont arrivés au début de l’année, explique le municipal René Vuilleumier, confirmant des informations de « 24 heures ». Ils n’ont causé aucune déprédation et font ça « pour le principe », selon lui.
À l’abandon pendant une vingtaine d’années, puis réhabitée par John Simenon, le fils de l’écrivain, la bâtisse de vingt-six pièces sur les hauts de Lausanne est pour le moins originale. Georges Simenon l’avait lui-même conçue, elle comprend notamment piscine couverte et cuisine ultramoderne pour l’époque où tout était à double (réfrigérateur, fourneau).
Entourée de 40 000 m2 de terrain, ses propriétaires actuels, la société immobilière Best House, aimeraient construire des villas sur la parcelle et transformer la bâtisse, ce qui n’est pas du goût du canton. Les squatters disent « vouloir faire revivre cette maison, c’est un bout de la mémoire d’un grand homme de lettres », selon le quotidien.
La justice de paix devrait bientôt se prononcer sur cette occupation. Le père du célèbre commissaire Maigret a passé les trente dernières années de sa vie sur sol vaudois. Il s’est installé en premier au château d’Echandens, puis à Épalinges et enfin Lausanne, à l’avenue des Figuiers.
Source URL : http://www.24heures.ch