« Mon premier souci a été de montrer la grande variété des interrogatoires conduits par Maigret en permutant trois critères, la bouteille de cognac bien sûr, le bureau de Maigret ou non, et la décision de procéder ou non à un interrogatoire.
Hier, 20 octobre 2009, j’ai entendu un juge d’instruction parler lui aussi, de botte secrète, pour évoquer, avec humour, son souci de respecter son “invité”.
Avec un commissaire Maigret ni confesseur ni trop gentil, c’est toujours, comme dans les romans durs, “l’homme nu”, qui est sur la sellette. L’offre du verre de cognac rend-elle parfois cette souffrance psychique plus supportable pour le lecteur ? Elle reste indissociable du regard, lucide et prévenant, que porte le commissaire sur ses semblables. »
Paul Mercier
À Cognac, au festival POLAR & CO. Paul Mercier décrit le rôle étonnant de l’eau-de-vie dans le travail du héros de Simenon
Quand le commissaire Maigret cuisine au cognac
À l’occasion d’un consistant hommage rendu au père de Maigret, le week-end des 18 et 19 octobre, Polar & Co révèle un « détail qui tue », passé jusque-là inaperçu aux yeux des spécialistes les plus aguerris. Tout le monde a en mémoire « une bière et des sandwiches » commandés par le commissaire au moment d’attaquer un interrogatoire douloureux. Mais personne n’avait repéré le rôle subtil joué par le cognac dans cet exercice de style.
Un dessin inédit de Jean-Philippe Mercier, le fils de l'auteur (non retenu pour la publication) où l'on retrouve la pipe et le cognac sur le bureau de Maigret... (Reproduction DR)
Un ingrédient universel
Fin connaisseur de l’univers de Simenon, notre ami Paul Mercier est tombé dessus un peu par hasard.
Cet universitaire en psychologie sociale et clinique a signé en 2003 Les Chemins charentais de Simenon, au Croît Vif. En rédigeant Cognac Story, son éditeur François Julien-Labruyère l’avait sondé sur la place de l’eau-de-vie charentaise dans l’œuvre de l’auteur belge.
Paul Mercier avait remarqué quelques références, peu marquées. La relecture des Maigret l’a amené sur une nouvelle piste. Dans son bureau, ce bon Jules dispose d’un placard avec un lavabo, un miroir et... une bouteille de cognac. Il en fait usage dans des instants cruciaux, avec une fréquence qui ne doit rien au hasard : une vingtaine d’occurrences entre 1951 et 1972.
Une étude du Liégeois Jacques Sacré sur les vingt-deux alcools les plus fréquents dans les Maigret confirme cet indice. Additionnées, les mentions du cognac (8,2 %) et de sa consommation en fine ou fine à l’eau (10,4 %) donnent au cognac la deuxième place, derrière le calvados (22 %) mais loin devant le whisky (7 %).
C’est le reflet d’une époque où l’alcool britannique n’avait pas encore conquis la France, mais aussi le choix, selon Paul Mercier, d’un « mot-matière », un ingrédient universel connu partout dans le monde.
« Un geste fraternel »
L’universitaire en a tiré un essai de près de 90 pages, quand même, qui s’absorbe d’une traite.
« Le verre d’alcool facilite le passage aux aveux d’un criminel repentant qui va enfin se mettre à table. Il soulage l’alcoolique en état de manque. Il offre une ponctuation dans une confession qui commence à durer, en permettant de faire le point à mi-parcours. Mais aussi, il réconforte dans un moment de détresse et de souffrance et tient alors de l’acte humanitaire plus que du simple geste de courtoisie mondaine », décrit Paul Mercier.
Pour « cuisiner » ses interlocuteurs au cognac, Maigret dévoile différentes recettes.
L’usage le plus fréquent intervient avec les aveux d’un suspect. « Le verre de celui qui vient d’avouer symbolise la coupure d’avec l’humanité ordinaire et, paradoxalement, lui offrir un verre est un geste presque fraternel de reconnaissance, un signe de maintien de son statut humain », analyse Paul Mercier.
Oublié à l’écran
Il arrive au commissaire de ne pas servir son « hôte », ou de se servir seul. Pour mieux se fondre dans la peau de ses proies, ou affronter sa nervosité face à un cas difficile, Maigret se sert aussi parfois discrètement. « Jamais on ne trinque ensemble. On imagine que Simenon écrivait en série. Ce ne sont pas des clichés. À chaque fois, il se renouvelle », apprécie Paul Mercier.
Cet aspect, qu’il est déconseillé d’apprendre dans les écoles de police, a été oublié dans les multiples adaptations à l’écran.
Une bonne raison pour se replonger dans « le plaisir de lire et relire » les textes originaux, selon Paul Mercier.
Philippe Ménard
N.B. : Ce livre est édité par Le Cercle noir. Il est destiné à être offert et ne peut être vendu.
Nous avons cependant négocié un accord de participation au frais avec l’éditeur et sommes heureux de vous informer que nos membres en règle de cotisation 2009 recevront un exemplaire de ce bel ouvrage à l’occasion de notre prochain courrier.
Des exemplaires supplémentaires peuvent être obtenus. Frais de participation gestion, emballage et port : France 9,50 / Europe 11,50 €.
POLAR & CO, 32 rue Grande, 16100 Cognac / Tél : 05 45 82 54 80 & www.cerclenoir.com
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