lundi 14 mars 2011

Pierre Assouline : Vies de Job


Le nouvel ouvrage de Pierre Assouline (Gallimard, 2011, 495 pages, 21,50 €) se présente comme un « roman ». En fait, l’auteur, qui ne peut oublier les nombreuses biographies qu’il a menées à bien, avoue que son rêve était plutôt d’écrire une biographie de Job, le personnage biblique du Livre de Job, dont l’histoire le passionne et même l’obsède depuis longtemps. C’est tout autant une méditation sur les thèmes du mal, de la souffrance, des rapports de l’homme avec la divinité. C’est surtout un récit où Pierre Assouline narre sa quête de Job à travers les traditions historiques et religieuses, ainsi qu’auprès de diverses personnes, à travers le vaste monde, qui pouvaient lui offrir des informations, des suggestions, du rêve à propos de son personnage. Ce faisant, l’auteur ne s’interdit pas d’évoquer souvent ses aïeux et sa famille. De la sorte, l’ouvrage assume aussi une allure autobiographique incontestable à laquelle participent également les voyages en quête de Job évoqués ci-dessus. Dès lors, le lecteur ne peut s’empêcher de s’intéresser, dans ce livre d’une rare profondeur, autant à la vie de l’écrivain qu’à ses réflexions sur Job. Alors, « roman », vraiment ? Essai, plutôt, mais peu importe : l’ouvrage montre une fois de plus que la littérature ne s’accommode pas toujours de cloisons étanches.

Cette note veut pourtant moins rendre compte de cet essai que relever les allusions à Simenon dont l’auteur, comme à son habitude, a malicieusement parsemé le livre.

P. 13 : « […] je me suis vissé une pipe entre les dents à la Simenon […]. »

P. 30 : « Je le hélai mais l’homme de la tour Eiffel était déjà loin […]. »

P. 30 : « Un homme assis sur un banc nous avait observés. […]. D’avoir fréquenté Simenon m’inclinait à entrer immédiatement en empathie avec ce genre de personne tout en me gardant d’en faire un personnage. »

P. 31 : « Ni un homme un peu fou, ni un fou un peu homme, juste un homme comme un autre. »

P. 33 : « Il serait à jamais l’homme du banc. Moins un nom qu’un titre à la Simenon. »

P. 136 : « Mains dans les poches, nez au vent[1]. »

P. 141 : « Appartiens-je ? Venant de là d’où je viens, me rendant là où je vais, je ne sais plus. Chaque fois que se pose la question, la voix de Georges Simenon résonne en moi, lorsque cet individualiste absolu m’expliquait les raisons de son départ d’Amérique après dix années heureuses : “ Là-bas, you have to belong. À ce que vous voulez, à une communauté de bridgeurs, de baptistes, de pêcheurs à la ligne, mais you have to belong, sinon vous restez en marge. ” »

P. 241 : « Ce qui m’est apparu à chaque lecture aussi mystérieux que la femme du commissaire Maigret. Seuls les experts savent qu’elle est Louise[2]. Son Jules[3] ne l’appelle jamais ; il ne la siffle pas non plus ; il lui donne parfois du “ madame Maigret ” mais guère de “ Louise ”. C’est une question pour concours de l’été, le prénom de Mme Maigret. »

P. 248 : « […] je n’ai même pas réussi à lire un roman de Simenon pendant la semaine que j’ai passée à Lakeville, Connecticut […]. »

PP. 264-266 : « Job raillé par sa femme, c’est aussi l’histoire de Désiré Simenon, père de Georges, employé aux assurances, un homme du juste milieu, pudique, discret et humble même si la société tient l’humilité pour la vertu des tièdes, un calme aux silences rehaussés d’un sourire plein de bonté, de quoi lui faire accepter l’injustice dans la tristesse et la résignation. Henriette, sa femme, est orgueilleuse, aigrie, insatisfaite, entreprenante, angoissée, hypersensible, nerveuse et plus paroissienne que lui : elle s’empresse de mettre des casseroles sur le feu pour donner au visiteur l’illusion de la prospérité[4]. Le petit Georges est là dans un coin qui s’imprègne.

La sérénité de l’un, l’inquiétude de l’autre. Désiré est assis dans son fauteuil d’osier dans le modeste jardin de la petite maison d’Outremeuse, au 27 de la rue de l’Enseignement à Liège ; il interrompt la lecture de son journal en tirant doucement sur sa pipe, et lève la tête pour subir des reproches sur son manque d’ambition qu’Henriette, debout à ses côtés, lui adresse encore et encore. Un jour, il s’affale à son bureau, à l’heure du déjeuner. Ses collègues le ramènent. Le jeune Georges s’occupe de tout ; il vient de perdre son héros et ne s’en remettra jamais. Ils n’ont même pas de quoi lui offrir des obsèques décentes. De toute façon, il n’y aura pas foule ; ce n’est pas un célèbre au cadavre duquel on court pour se donner de l’importance. Désiré est trésorier de l’Association des pauvres honteux, des petites gens de son quartier qui ont toujours besoin d’aide pour finir le mois mais préfèrent subir leur misère en silence plutôt que d’avoir à réclamer.

Le père serein dans son fauteuil en osier, la mère tendue le houspillant. Un homme assis, une femme debout. Un regard sur la défensive en contre-plongée, un regard agressif en plongée. Deux âmes en bataille. Sans le savoir, Georges Simenon a vécu toute une vie et composé toute une œuvre avec un tableau de Georges de La Tour incrusté dans sa mémoire ; une toile qu’il n’avait pas vue accrochée à une cimaise mais qu’il avait regardée vivante sous ses yeux, Job raillé par sa femme. »

PP. 313-314 : « Je me tourne vers Job coutumièrement assis à mes côtés. Il a les traits de Charles Aznavour, marmonne en arménien et répond au nom de Kachoudas. Le fait est que je sors de la Cinémathèque quasi déserte où l’on projette Les Fantômes du chapelier. Un bon Chabrol, un fascinant Serrault, l’un des meilleurs Simenon. Aznavour réussit à y incarner l’étranger absolu. L’autre de tous les lieux et de tous les temps. Celui qui n’est pas d’ici. Mon Job. Dans cette rue du Minage où il trime à son atelier de tailleur face à la boutique du chapelier, subvenant maigrement aux besoins de sa famille alors qu’il est malade, il est le juste souffreteux avant de finir en juste souffrant. À la fin, il meurt et les siens sont promis aux plus grandes mesures. Le chapelier peut chercher longtemps celui qu’il appellait (sic) “ Kachoudââââââs ! ”, il est là, assis sur la banquette, avec moi. »

PP. 389-390 : « Je me perds dans les rues, qui sonnent non comme celles de Proust avant le bal mais comme celles de Simenon après minuit, pavés disjoints contre pavés luisants, la réminiscence littéraire réduite à une bataille de pavés. »

P. 458 : […] dans la rue, mon ombre ne me suivait plus[5]. »

P. 487 : « J’ai l’impression d’avoir confié le plus secret de ma pauvre vie à l’homme du banc, ce jour d’automne sur l’avenue du Président-Wilson balayée par le vent. »

M. L.


[1] Comme Jehan Pinaguet... et le jeune Simenon flânant dans les rues de Liège.

[2] Elle est en effet Louise dans Les Mémoires de Maigret, mais elle avait été Henriette auparavant dans L’Amoureux de Madame Maigret. Henriette, comme la mère de Simenon ? Certes, mais surtout comme Boule, pardi.

[3] De même, avant de se prénommer Jules, Maigret s’est prénommé Joseph.

[4] Selon les récits de Simenon, c’est sa grand-mère, la mère de Henriette, qui procédait de la sorte.

[5] Comme Charles Alavoine dans Lettre à mon juge.

samedi 19 février 2011

Romans des femmes


Sous ce titre, les éditions Omnibus ont regroupé dix romans aux figures fortes et singulières de l'univers simenonien :

La Nuit du carrefour (1931)
La Veuve Couderc
(1942)
La Fenêtre des Rouet
(1945)
Le Temps d'Anaïs
(1951)
Marie qui Louche
(1952)
En cas de malheur
(1956)
Strip-tease
(1958)
La Vieille
(1959)
Betty
(1961)
La prison (1968)

Éditions Omnibus, Paris, 2010, 1088 p., 27 €

jeudi 10 février 2011

Assemblée générale 2011

Les Amis de Georges Simenon

se réuniront en Assemblée générale le dimanche 22 mai 2011 au

Théâtre-Poème

30, rue d’Écosse

1060 Bruxelles

Le programme détaillé de la journée sera publié sur ce blog et nos membres seront également informés par courrier au début du mois d’avril.

Nous espérons que vous assisterez nombreux à cette journée très conviviale..

mercredi 9 février 2011

Christian Millau : Journal impoli. Un siècle au galop 2011 - 1928

Dans les 718 pages de ce Journal impoli, Christian Millau consacre peu d’espace à la gastronomie mais fait revivre Nimier, Blondin, Morand et Cendrars, Aymé et Léautaud sans oublier tous les autres...

L’imposant index qui clôt le volume renvoie à douze chroniques qui évoquent Georges Simenon.

Dans la principale, il est interviewé à Épalinges, le 19 mars 1964, par Christian Millau revenant de Dallas où il a suivi pour Paris-Presse le procès de Jack Ruby, l’assassin de Lee Harvey Oswald, lui-même assassin du président Kennedy.

Pas moins de cinq pages sont consacrées à cet entretien au cours duquel Simenon évoque ce qui, selon lui, constitue les grandes différences entre la justice américaine et la justice française. Il démolit en passant la thèse du complot contre Kennedy et affirme qu’il croira, sans hésitations, les conclusions du rapport Warren qui n’a pas encore été rendu officiel...

Voilà un sujet qui aurait trouvé place dans le numéro 23, Justice est faite ?, des Cahiers Simenon publiés en 2009.

Christian Millau, Journal impoli. Un siècle au galop 2011 – 1928. Monaco, Éditions du Rocher, 29,90 €

mercredi 5 janvier 2011

Concours de photographie Maigret


Nous vous informons de la récente mise en ligne du site www.croiser-maigret.com, site conçu par l’équipe web du Livre de Poche qui nous propose une animation autour du commissaire Maigret en deux temps :

1. Un concours-photos jusqu’au 31 janvier 2011.

Principe : Vous avez déjà rencontré le commissaire Maigret à travers vos lectures, ou vous en avez une certaine image, que vous incarnerez, en photo.

2. Un vote des internautes pour la sélection de photos du 1er au 15 mars 2011 (la pré-sélection de photos sera effectuée par un jury de spécialistes de Maigret, courant février) :

– John Simenon (Director, Georges Simenon Ltd.)
– Pierre Assouline (auteur de L'Autodictionnaire Simenon)
– Jacques Santamaria (réalisateur)
– Benoît Denis (Directeur du Centre d'Etudes Georges Simenon à Liège)
– Catherine Chauchard (Directrice de la Bilipo à Paris)
– Rémy Ehlinger (Librairie Coiffard à Nantes)
– Hervé Tardy (éditeur et photographe)
– Jean-Baptiste Baronian (président des
« Amis de Georges Simenon »)
– Les équipes marketing des éditions du Livre de Poche et Omnibus

Ce concours-photos est destiné à un public élargi, et devrait plaire à la fois aux férus de Maigret mais également à un public moins connaisseur, mais curieux de le découvrir ou de rompre avec les idées reçues !

Les gagnants se verront récompensés par de belles collections : « Tout Maigret » aux éditions Omnibus, et de nombreux livres de Poche.

Nous profitons également de cet message pour vous annoncer la parution prochaine en 2011 de six références d’édition thématique double de titres Maigret au Livre de Poche :

– en février : Les Premières Enquêtes de Maigret, un double volume qui réunit : Pietr le Letton et La Première Enquête de Maigret en format poche qui réduit ainsi le prix total de 30 % : 9 €.

– en mars : Les Grandes Enquêtes de Maigret un double volume qui réunit : Maigret tend un piège et Maigret et le voleur paresseux : 8.50 €.

Nicola Grimaldi : Traité des solitudes

C’est dans la collection « Perspectives critiques » que les éditions PUF (Presses Universitaires de France) publient ne étude philosophique de la solitude nourrie de nombreuses références littéraires :


Traité des solitudes

de Nicolas Grimaldi.

On trouvera en annexe de l'ouvrage une étude de plus de 30 pages consacrée à

« Simenon, romancier des solitudes » (pp. 233 à 264).

Nicolas Grimaldi, Traité des solitudes. Paris, PUF, « Perspectives critiques », 288 pages. 21.00 €

(ISBN : 978-2-13-053793-9)

samedi 18 décembre 2010

Bernard Alavoine : Les Romans de Georges Simenon

Ce dossier pédagogique a été envoyé à tous les professeurs de collège de France, en 2003. Il s’agit d’une édition hors commerce du Livre de Poche, ce qui explique qu’il ait échappé aux limiers des Amis de Georges Simenon et son absence dans la récente Bibliographie des écrits sur Georges Simenon de Michel Schepens.

jeudi 2 décembre 2010

Cahier Simenon n° 24 : "Petits docteurs et grands patrons"




Les Cahiers n° 24 viennent de sortir de presse.
Le thème central est le monde médical comme vous les constaterez à la lecture du sommaire ci-dessous :

Jean-Baptiste BARONIAN
Ouverture

Georges SIMENON
Si j’avais été médecin…

Gilberte AIGRISSE
Le commissaire Maigret et le psychanalyste

Jean-Baptiste BARONIAN
L’ami Paul

Dr Jean-Pierre BRUNET
Quand les internes des hôpitaux de Paris se faisaient critiques littéraires

Dr Jacques FAUCHER
Les médecins dans l’oeuvre de Georges Simenon

Dr René KAECH
Les réflexions d’un hémiplégique selon Simenon

Michel LEMOINE
Préliminaires à une étude du monde médical et paramédical dans les romans signés de pseudonymes

Michel LEMOINE
Ambiance médicale à Liège

Paul MERCIER
Les docteurs Bouchardon et Pardon

Philippe PROOST
Maigret et l’alcool

Dr Bernard SCHMITT
Georges Simenon, un psychiatre qui s’ignore

Cette publication sera très prochainement expédiée à tous nos membres en règle cotisation pour 2010.
Elle sera accompagnée de notre Bulletin simenonien n° 13.

Pourquoi lire Simenon en 2010 ? par Jacques Dubois

Art&fact, l’association des historiens de l’art et archéologues de l’Université de Liège, organise pour la quatrième année consécutive, un cycle de 10 conférences, intitulé « Culture & Société ».

La prochaine, « Pourquoi lire Simenon en 2010 ? », sera donnée le 16 décembre par Jacques Dubois, philologue romaniste, spécialiste de Georges Simenon et du roman policier et professeur émérite de l’Ulg.


INFORMATIONS PRATIQUES

Les conférences, suivies d’un débat, ont lieu de 14h30 à 16h30 à la Salle académique de l’Université de Liège, place du 20-Août, 7 à 4000 Liège.

La participation par séance est de 7 €/pers. (3 € tarif étudiant).

Contact : Art&fact asbl

Tél. : 04/366 56 09

Courriel : culturesociete@gmail.com

www.artfact.ulg.ac.be/culturesociete/

mercredi 20 octobre 2010

Au Festival Polar de Cognac

Le festival s'est tenu du 15 au 17 octobre 2010.

Paul Mercier y a donné une conférence intitulée :

L’influence de Marcel Grancher et de
Georges Simenon
sur les ambitions littéraires de Frédéric Dard

Comment un jeune apprenti comptable, pauvre et en rupture de scolarité, est-il devenu, par le biais du journalisme, un romancier qui ambitionne de conquérir un large public ? A 17 ans, pour oser des ambitions littéraires, il trouve un appui indispensable chez deux aînés qu’il admire, Georges Simenon et Marcel Grancher. Il y puisera la force de réaliser ce rêve incroyable : devenir l’homme-sandwich de la littérature, annoncé dans sa nouvelle : « Vie à louer ».